M. Flavio PAREDES CRUZ
Soutiendra lundi 2 décembre 2024 à 14 h
Salle Kouros à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, Site Saint-Charles 2
une thèse de DOCTORAT
Discipline : Études culturelles spécialité Études culturelles
Titre de la thèse : Les imaginaires de l’Amérique latine dans la bande dessinée : représentations des amérindiens du sud (peuples, civilisations et territoires)
Composition du jury :
- Mme Viviane ALARY, Professeure, Université Clermont Auvergne
- M. Jean-François BOUTIN, Professeur, Université du Québec à Rimouski (Canada)
- M. Alain CHANTE, Professeur émérite, Université Paul-Valéry Montpellier 3
- M. Maxime DEL FIOL, Professeur Université Paul-Valéry Montpellier 3
- Mme Cécile QUINTANA, Professeure, Université de Poitiers
- M. Éric VILLAGORDO, Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier 3, directeur de thèse
Résumé de la thèse
Les représentations des peuples autochtones de l’Amérique latine dans la bande dessinée (BD) rendent compte des rapports de pouvoir -sociaux et symboliques- historiquement déployés à l’égard de cette région. Une perspective théorique pluri et transdisciplinaire (Études culturelles, arts plastiques, sémiologie, histoire culturelle) avec l’analyse de plus de 600 titres (de 1928 à 2024) guident une étude des formes et contenus, des contextes de production et d’une généalogie d’imaginaires activée dès la première rencontre avec le « Nouveau Monde » et ses habitants. La présentation et l’analyse du corpus permettent en même temps de comprendre la reproduction des représentations/discours coloniaux en signalant ce que les BD portaient et portent encore comme héritage colonial (cela concerne une immense partie du corpus) et de mettre au jour également les stratégies de réécriture de l’histoire, les contre-représentations/discours, afin de les comprendre au sein des transformations postcoloniales. Les mécanismes graphiques et narratifs, ainsi que les stratégies de signification, employés par des auteurs divers, leurs perspectives idéologiques (du racisme à l’idéalisation), convergent vers les figures imaginaires de l’Amérindien du sud, dévoilant les fantasmes coloniaux qui agissent toujours aujourd’hui pour rendre identifiable une certaine « indianité » latino-américaine. Au travers de la bande dessinée européenne, des comics étatsuniens et de la historieta latino-américaine, un imaginaire pluriséculaire a sédimenté un répertoire d’images et de scènes (que l’on conceptualise comme des iconomythes) qui rend identifiable cet Amérindien du sud, mais qui opère idéologiquement, très majoritairement, vers une représentation stéréotypée, racialisée, des peuples et une (ré)invention fantaisiste constante de cette aire culturelle.
Les civilisations précolombiennes, l’Indien inséparable de la nature (Andes, forêt tropicale, pampa, îles) et les indigènes du tiers-monde composent une typification réductrice de l’Amérindien du sud, qui -par la connivence verbo-iconique de la BD- renvoie de façon inéludable à ses marqueurs identitaires (corps, couleur de peau, vêtement, langues, pratiques culturelles, imaginaires géographiques). L’aventure exotique, genre générateur d’altérité, très majoritaire dans le corpus, favorise le héros blanc-occidental et aplatit ou associe l’« Indien » à tout ce qui est hors-norme, ancrant dans les fictions graphiques, des rapports pluriséculaires entre barbarie et civilisation, entre colonisateur et colonisé. La monstration de la sauvagerie et du primitivisme, se fait via des rituels (sacrifices, momification), des pratiques guerrières (les Amazones ou tsantzas-têtes réduites), des cités perdues avec des trésors (L’Eldorado), une certaine monstruosité (géants Patagons, Cannibales). Contre cette obstination à afficher une altérité radicale par ces mêmes signes réitérés sans cesse, une BD réflexive -minoritaire et plus récente- évoque des hybridations culturelles, des circulations plus que des affrontements, des cultures multiples plus que des caricatures, des nouveaux points de connexions -par le récit intimiste, par l’humour ou par le lien avec les sciences humaines- afin de montrer un dialogue interculturel. Bien que cette étude étudie principalement la BD franco-belge, la historieta latino-américaine, qui a peiné à s’affranchir des modèles culturels occidentaux hégémoniques, se voit impliquée dans la prolifération et les possibilités ouvertes par la narration graphique en tant qu’image métisse (Gruzinski) pour représenter l’Amérindien du sud.
_______________________________________________
Representations of Latin America’s indigenous peoples in comics reflect the social and symbolic power relations historically deployed in relation to this region. A multi- and trans-disciplinary theoretical perspective (Cultural Studies, Visual Arts, Semiology, Cultural History) and the analysis of over 600 titles (from 1928 to 2024) guide a study of forms and contents, production contexts and a genealogy of imaginaries activated from the first encounter with the “New World” and its inhabitants. At the same time, the presentation and analysis of the corpus allow us to understand the reproduction of colonial representations/discourses, by pointing out what comics carried and still carry as a colonial heritage (this concerns a huge part of the corpus), and to bring to light strategies for rewriting history, counter-representations/discourses, in order to understand them within post-colonial transformations. The graphic and narrative mechanisms, as well as the strategies of signification, employed by various authors, their ideological perspectives (from racism to idealization), converge towards the imaginary figure of the Southern Amerindian, revealing the colonial fantasies that still act today to make identifiable a certain Latin American “Indianness”. Through European comics, American comic books and Latin American historietas, a centuries-old imaginary has sedimented a repertoire of images and scenes (conceptualized as iconomyths) that make this Southern Amerindian identifiable, but which operate ideologically, overwhelmingly, towards a stereotyped, racialized representation of peoples and a constant fantasy (re)invention of this cultural area.
Pre-Columbian civilizations, the Indian inseparable from nature (Andes, tropical rainforest, pampas, islands) and Third World natives make up a reductive typification of the Southern Amerindian, which - through the verbo-iconic connivance of comics - ineluctably refers to its identity markers (body, skin color, clothing, languages, cultural practices, geographical imaginaries). Exotic adventure, a genre that generates otherness and is in the majority in the corpus, favors the white-Western hero and flattens or amalgamates the Indian in everything that is outside the norm, anchoring in graphic fictions the ancient relationships between barbarism and civilization, between colonizer and colonized. Rituals (sacrifices, mummification), warlike practices (the Amazons or the tsantzas - shrunken heads), lost cities with treasures (El Dorado) and a certain monstrosity (Patagonian giants, cannibals) are used to show savagery and primitivism. Against this obstinacy in displaying radical otherness through the same signs repeated over and over again, a reflexive comic -minor and more recent- summons cultural hybridizations, circulations more than confrontations, multiple cultures more than caricatures, new points of connection -through intimate narrative, humor or links with the human sciences- in order to show an intercultural dialogue. Although this study focuses mainly on Franco-Belgian comics, Latin American historieta, which has struggled to free itself from hegemonic Western cultural models, are implicated in the proliferation and possibilities opened by the comics image as a mixed image (Gruzinski) to represent the Southern Amerindian.